À l’horizon de ses quarante ans, Émilie Talon part en écriture comme on part en expédition. La voie du récit familial s’annonce escarpée et la marche d’approche est délicate, mais l’autrice avance avec brio. Entre plongée dans le réel et reconstitution, entre l’histoire de son père et sa démarche à elle, Vertiges persans est un récit intime et de montagne écrit avec beaucoup d’esprit. Aventurez-vous !
Vertiges persans : le sens de l’écriture
En démarrant ce livre qui a d’abord longuement muri en elle, Émilie Talon avait pour projet de partir sur les traces de son père, mais de son père d’avant sa naissance. Ce qui est peu banal.
En 1956, Émile Talon (dit Milou) et cinq de ses camarades du Club alpin de Saint-Étienne sont allés gravir les montagnes d’Iran. Plus exactement, le Trône de Salomon et le mont Damavand (sommet le plus haut du pays).
L’été 2021, voilà qu’Émilie leur emboîte le pas, aidée par la guide iranienne Zohre. Elle trouve en elle plus qu’une accompagnatrice : « Zohre me paterne. » La sororité des deux grimpeuses fait écho à sa manière à l’expédition masculine de 56 et c’est beau.
Mais comment marcher dans les pas de son père sans les effacer ? Comment fouiller sans entacher la mémoire ? Comment découvrir sans disconvenir ? Tel est le défi de cette exploration en Iran, de ce voyage en dedans et tout à la fois de cette excursion en écriture.
« Me résoudre à ne plus être dans les pas de celui que j’ai décidé de suivre fait partie de la démarche salvatrice que j’ai entamée. »
Émilie Talon ou les vertiges de l’écriture
Vertiges persans tresse plusieurs fils : l’expédition de Milou Talon en 1956, la marche d’Émilie Talon en 2021, la réminiscence de son enfance passée avec son père dans les années 80 et la voie ô combien exigeante de l’écriture.
L’autrice cherche le chemin de son récit. Nous avons, lecteurs, accès aux pensées d’avant l’acte d’écrire qui deviennent, sous nos yeux, écriture. Nous entrons dans le processus de l’écrivaine. Je me demande pourquoi elle a fait ce choix de laisser les poutres apparentes. Le projet initial l’intimidait-il au point qu’il lui fallait trouver des subterfuges pour le retarder encore un peu ?
« Je cherche la chair sous le papier. »
Et puis, nous passons sans crier gare des questionnements de l’autrice sur son projet en germe, de ses hésitations, à l’immersion totale dans l’histoire. La magie de l’écriture opère. Écrire, c’est parfois outrepasser les bornes, emprunter des contre-allées, et toucher la réalité par le biais de la fiction. Ainsi, nous voilà plongés dans l’expédition iranienne de 1956. Les personnages prennent vie, s’émancipent. Quant à Émilie, elle crée ses propres traces tout en poursuivant sa marche mémorielle.
Finalement, aller de l’avant et franchir les obstacles est une disposition bien naturelle pour une fille d’alpiniste. Et comme elle le rappelle si bien : « l’adversité nourrit la créativité ».
Percée sur les versants
À l’été 2021, lorsque la pente était trop rude, Émilie écrivait quelquefois dans sa tête pour oublier son corps. Si elle grimpait parfois avec difficulté, l’écriture parvenait à se frayer un chemin et à se façonner élégamment.
Voilà le pouvoir ailé de l’écriture, à l’image de celui du père aimant qui inventait des histoires pour sa fille, gambadant alors sans crainte sur les pentes de l’Oisans. Il était pour elle un livre qui marche.
« Je me souviens que je trottais derrière toi et mes pas s’allégeaient, ton refrain était ma monture. »
Dans ce récit de marche au style littéraire élégant, Émilie Talon se love dans le souvenir, « le doux creux de l’enfance ». Nous cheminons avec elle sur les montagnes de l’Iran, mais aussi dans ses Alpes originelles. On découvre quelques facettes de l’Iran d’aujourd’hui et l’on se délecte de l’esprit de cordée des alpinistes.
Élevée au grand air et nourrie à l’imaginaire, Émilie peut désormais dévoiler au grand jour l’écrivaine qui se terrait en elle.
Après Iran, la paupière du jour paru en 2021 aux éditions Élytis et Vertiges persans paru en 2023 aux éditions Guérin, on se dit jamais deux sans trois : n’est-ce pas Émilie ?
Une chronique d’une sensibilité sans pareille, et tellement stylée. Voir son ouvrage ainsi lu, son texte ainsi arpenté, est un privilège, merci infiniment.
Merci Émilie ! 🙏