Hélène Dorion est poétesse, romancière, essayiste, femme de radio, éditrice, professeure à l’Université de Québec. (Liste non exhaustive, intro oblige.) Sa poésie sensible a la force des éléments naturels. Et avec son recueil poétique Mes Forêts, elle a réussi l’exploit de me donner envie de m’attarder dans les bois. D’ordinaire, je préfère avancer sur les flancs de montagnes et voir loin. Paradoxalement, je trouve la forêt un brin étouffante. Mais cet ouvrage a une force d’attraction inouïe et il me tarde désormais d’aller écouter le cœur du monde. En attendant, je vous en dis un peu plus ?
Un recueil poétique qui éclaire le chemin
De la poésie vivante au programme du bac
Mes Forêts est au programme du baccalauréat de français 2024 ! Aux côtés d’Arthur Rimbaud et de Francis Ponge. Je ne sais pas si vous vous rendez compte. Des lycéens vont découvrir que les poèmes se fabriquent encore de nos jours. Qui plus est par une femme active distillant une poésie bien ancrée dans le réel. C’est donc une grande nouvelle ! En effet, c’est la première fois qu’une autrice vivante se retrouve au programme du bac.
Il y a encore du chemin, mais comme l’écrivait Antonio Machado « Caminante, no hay camino, se hace camino al andar ».
Des poèmes pour célébrer la vie
Ce recueil de moins de 100 pages est un condensé d’oxygène.
Quand on s’assombrit devant la cruauté d’une partie de l’humanité, que l’on perd espoir, que l’on se sent totalement impuissant face au massacre du monde sauvage, on peut toujours se réfugier un temps dans la poésie. La poésie accueille toutes les peines. Elle est un refuge minuscule et immense à la fois.
Par son écriture sensible et sensorielle, Hélène Dorion nous redonne foi en l’humanité. Et elle remet l’humain à sa place. C’est-à-dire en bas, tout petit, face à l’immensité du monde naturel, face à la grandeur d’un arbre et à la puissance d’une racine.
« il fait un temps à s’enfermer
dans nos maisons de forêt »
Quand « la nuit humaine » prend trop d’ampleur, elle choisit de se tourner vers « l’herbe des petites bêtes », autrement dit, vers la vie.
« Mes Forêts » : une écriture organique
Langue d’écorce vs langue de bois
La poésie d’Hélène Dorion est « une langue d’écorce et de souffle ». Elle nous invite à sentir ce qu’il y a de plus vivant en ce monde.
Mes Forêts commence par une suite de petits poèmes, chacun s’attardant sur un élément du paysage. Il y a l’horizon, l’arbre, le ruisseau, le rocher, le tronc, puis l’écorce, l’humus, etc. On navigue entre le haut et le bas, le grand et le petit. Et voilà qu’on entre dans la matière, avec tous nos sens.
On est plongé dans ce monde naturel, hors du temps. Et parfois surgissent des bribes incongrues de modernité comme cet indigeste agrégat « facebookinstagramtwitter ». Il en résulte un contraste saisissant qui renforce la grandeur des éléments naturels, cette forêt ancestrale et magistrale, et exhibe la petitesse de notre monde moderne.
« Il fait rage virale sur nos écrans qui jamais ne dorment
propagent des mots comme un venin pénètre la surface
[…]
l’écran s’est verrouillé le champ d’étoiles est devenu noir »
La forêt de mots d’Hélène Dorion
« puis sont venus les premières lettres
et les premiers mots des phrases
pour dire un monde plus vaste
que celui des maisons »
Son écriture ouvre les possibles, élargit le monde. La langue est comme la forêt qui insuffle de l’oxygène à la Terre.
Mais les mots d’Hélène Dorion sont aussi comme de petits cailloux semés le long du chemin pour mieux esquisser un portrait intime. « Mes forêts sont » est un gimmick qui vient rythmer le recueil. Et en employant ainsi l’adjectif possessif, l’autrice dévoile le caractère intimiste de cette balade en forêt qui est également une promenade au-dedans de soi.
Ainsi, ses forêts opèrent comme un miroir :
« et quand je m’y promène
c’est pour prendre le large
vers moi-même »
En définitive, la marche en pleine nature et la lecture de poésie représentent ce nécessaire pas de côté qui ouvre de nouvelles perspectives.
« il fait un temps à fermer les yeux pour mieux voir »
La lecture de ce recueil est comme une balade en forêt. Elle nous insuffle ce qu’il faut d’air pour mieux respirer. D’ailleurs, quand vous serez en train de lire Mes Forêts, vous aurez envie de faire durer la promenade, de demeurer dans cet espace réconfortant. Et quand vous aurez fini de le lire, un conseil : relisez-le. Car la trajectoire de ce recueil, ou même, de ce livre-poème pour emprunter une expression chère à André Velter, est belle et je trouve qu’elle se goûte mieux quand on sait où elle nous mène.
☞ Lien vers la présentation du livre Mes Forêts sur le site des éditions Bruno Doucey.
☞ Je vous invite également à visiter le site d’Hélène Dorion et à découvrir la richesse de son parcours et de ses cheminements à la croisée des disciplines.