Brèves de couloir, de rue, de métro, de TER, de tout, de rien et j’en passe, bref, le degré zéro de la responsabilité auctoriale. (Avec tout de même quelques pensées en semi-sommeil dedans.)
Trajets pendulaires Ariège—Toulouse
Durant six années, j’ai effectué un long trajet pour me rendre à la fac, cumulant train, métro et marche et croisant toutes sortes de gens.
Ces gens, on peut facilement décider de les ignorer, on peut parfois leur parler, ou encore les observer et les écouter. Et un truc incroyable se passe alors : les gens deviennent drôles. Évidemment, il en est aussi de très agaçants. Libre à nous de les trouver drôles aussi.
Quoi qu’il en soit, la matière est là, partout, tout autour, il n’y a rien à faire, pas même se baisser. Au vol, j’attrape une tranche de vie, quelques miettes que je récolte comme on ferait son herbier. À la volée, ces mots glanés retombent dans mon panier — un carnet de notes — et me sortent pour un temps de ma lecture ou de mon demi-sommeil. Et souvent, ces paroles en l’air font basculer mon humeur. J’en ris volontiers, et parfois j’enrage.
Mais toujours, je trouve rassurante cette légère altération de soi par la voix des autres. D’ailleurs, je la souhaite à quiconque. Car lorsque les trajets se font trop longs et que la fatigue se glisse toujours un peu plus loin dans les plis de notre peau, les autres nous maintiennent éveillés.
TER du matin
Foix—Toulouse Matabiau
Quatre jeunes futurs militaires — deux filles et deux garçons — discutent entre excitation, peur et tristesse de quitter leur famille. Ils se posent des questions. Comment on va faire pour la lessive ? L’un semble plus au courant que les autres : Tu vas devoir apprendre ton immatriculation par cœur. Dix chiffres ! Les autres : Dix chiffres ?! – Ouais, ils peuvent te la demander n’importe quand et si tu sais pas : pompes ! Faut apprendre des chansons aussi. Et puis, il raconte : Mon père, pour mes dix-huit ans, il m’a fait péter toutes les grenades qu’existent, c’était mortel ! Les yeux de ses camarades se sont mis à briller.
L’homme assis en face de moi dessine des arbres dans des pots et ça a l’air très sérieux. Régulièrement, il s’arrête, regarde le paysage qui défile, une petite ride se forme alors entre ses deux sourcils et il dessine à nouveau un arbre dans un pot, sensiblement égal au précédent, penché sur un cahier d’écolier à petits carreaux. De prime abord, je me suis demandé s’il était moine ou aspirant moine, car il portait des sandalettes d’un autre siècle et buvait religieusement du thé dans un Thermos en inox tout en semblant entrer dans des sortes de micro-méditations. Et puis, il a ouvert son grand cahier 96 pages et cette idée de moine buveur de thé s’est envolée. Un rêveur d’arbres, sans doute.
C’est dingue ce que le train peut compter de rêveurs, même à grande vitesse !
Métro du matin
Matabiau—Mirail Université
On pousse et on dit pardon.
On repousse et on redit pardon.
On dit pardon alors on pousse.
Je me demande si on ne dit pas pardon pour avoir le plaisir de pousser.
Je me lève à 5 h 30 tous les matins (sourire), tous les matins, oui, TOUS les matins.
Une vieille dame dans le métro.
C’est fou tous ces gens qui dorment debout. Pour remédier au manque de place dans les cimetières, on pourrait enterrer les morts debout, ça leur rappellerait le turbin.
Comment ai-je pu penser une seule seconde que cet homme-là, assis dans le métro, un journal entre les mains, une trottinette entre les jambes, pouvait être aveugle ? Ça doit être ça la fatigue : voir des aveugles en trotinette.
Métro-boulot-dodo : il n’y a plus que deux moments. La quadrature du cercle enfin résolue entre Esquirol et Patte d’oie.
Tiens ! les gens ne lisent plus, ils alignent des bonbons. On avance. On avance bien.
Mardi 1er avril, Toulouse vient de passer à droite. Je suis sûre qu’il a voté à droite lui. Ses chaussures pointues, sans doute. Et puis, il a l’air joyeux, c’est louche. Elle, par contre, avec son sac à main artisanal tout déformé, elle a voté à gauche, c’est certain. Les deux femmes là, j’hésite. Leur veste si… mais le reste si… quant à leur tête… Ridicule ? Oui, je sais. Mais je ne peux pas m’en empêcher. Que nous reste-t-il lorsque l’on ne se parle plus ? Un regard porté sur l’autre. Une suspicion des étoffes.
Quand un sosie marche derrière son sosie… Hallucination du matin.
En sortant du métro, j’ai vu une pub pour un bar à ongles. Ça doit quand même pas être super bon.
Fac du Mirail
Je crois que j’ai jamais vu quelqu’un de droite.
– Va à la fac du Capitole, t’en verras.
Bruits de couloir.
Je ne suis jamais sortie avec un mec qui porte un nom composé. À mettre dans les trucs à faire.
Foyer de Lettres, le printemps approchant.
Mon objectif, c’est d’aller en cours.
Foyer de Lettres, un étudiant visité par la lumière divine.
Tony, il a deux trous rouges au côté droit, mais c’est de la sauce tomate.
Le mordeur du Valium, au foyer de Lettres.
Soirée Œdipe ce soir ! Ramenez vos mères !
Élan du cœur d’un camarade inspiré.
C’était un psychopathe Balzac !
Étudiante maîtrisant l’art de la synthèse, en cours de littérature.
Il n’a même pas les moyens de manger à midi et il voudrait changer de sexe ?
Pause déjeuner en mode tu vois l’genre.
J’aime bien tes lunettes, t’es myope ou astigmate ?
Discussion de cantine devant un plat de lentilles.
J’suis pas fan de la 2e Guerre mondiale. J’préfère encore la 1ère.
Étudiant en Histoire entre la poire et le fromage.
Moi, j’ai choisi de bosser à la banque pour le relationnel.
Étudiante pragmatique.
C’est super les études d’arts plastiques, après tu peux faire des exposés dans le
monde entier ! Par contre, je crois qu’il faut travailler pas mal avant.
Étudiante, un matin sans doute trop tôt.
Je m’attendais à voir un vieux rat de bibliothèque, en fait, c’est un trentenaire qui sent le tabac.
Psychologue en reprise d’études qui eut le nez fin durant un examen.
J’en n’ai jamais eu des gays dans ma classe. Des lesbiennes, oui, mais pas des gays.
Une étudiante en plein bilan de fin d’études.
Attention, votre vision du monde n’est pas celle des grammairiens.
Prof de correction orthotypographique à un étudiant campant sur ses positions.
Chacun son truc, lui, c’est les boules, moi, je suis obsédée par les bocaux. Et quelques minutes plus tard… C’est des glands ceux qui volent des boules.
Prof de théâtre, en cours de révélation.
Entre deux examens, je bois des cafés en plastique et après, je mange la touillette.
En colloque, parfois la communication est tellement ennuyeuse que tu décides de
lire tranquillement un livre, et parfois, l’auteur de ce livre vient s’asseoir à côté de
toi.
En colloque, parfois la communication du prof consiste à énumérer toutes les
choses qu’il n’aura pas le temps de traiter lors de sa communication.
En colloque, parfois tu te dis que si on faisait ça à l’oral, lire à toute balle sans lever
le nez de notre feuille, on se taperait 2.
Et puis soudain, parmi les endormeurs professionnels, parfois, en colloque, un
intervenant réveille l’assistance avec ses délicieuses sorties de route :
Il y avait des sapins, un truc bien germanique comme ça !
Et quelques minutes plus tard.
Je ne suis pas un spécialiste de la betterave.
Encore quelques minutes plus tard.
Vous savez, la petite écharde qu’on a foutue dans l’cul de la Belgique.
Il parlait du Luxembourg…
Et puis…
Tout ça parce qu’ils ont lu Foucault dans Que sais-je !
Mais encore…
Quand on pense qu’Hermès est devenu un foulard…
Je crois bien que sa communication s’est terminée ainsi. Brillamment.
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☞ Y en a un peu plus, je vous le mets quand même ? Les autres, la suite, par ici.
Tres droles vos histoires vecues! !
Merci Paulette et à bientôt !
Bravo, Emilie, pour cette chronique des jours ordinaires!
Merci Jean-Yves !
A refaire aujourd’hui pour voir si ce serait ressemblant. c’était joyeux et on sent ton regard. Très frais
Merci Valentine ! 4h de trajet presque tous les jours, je ne ferai plus. C’était fou ; c’est fait. Mais il y a moyen de mettre ses oreilles dans bien d’autres endroits. 😉
Elles sont drôles ces brèves ! Eh oui la vie quotidienne peut être un spectacle étonnant, pour peu qu’on y prête attention…
Merci Simon !