Je n’en lirai pas beaucoup des livres comme ça. À chaque fois, la seule mention de cette période de l’Histoire me soulève le cœur. Mais Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon est aussi un récit très personnel. Cette autrice qui continue livre après livre à raconter les femmes avec force et finesse a passé la nuit du 18 août 2021 dans l’Annexe, au Musée Anne Franck à Amsterdam. Histoire et bagage familial se mêlent et ça remue en dedans.

Le Journal d’Anne Franck
« Comment l’appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment ? »
Il est vrai que nous l’avons oubliée cette lecture.
J’ai « réappris » les vingt-cinq mois de réclusion pour espérer échapper à la Shoah, les huit personnes enfermées dans ces pièces obscures, le dernier convoi pour Auschwitz ce 3 septembre 1944, le camp de Bergen-Belsen où les sœurs Franck moururent au printemps 1945.
Dans un extrait du Journal daté du 20 juin 1942, Anne Franck dresse la liste des mesures antijuives. À chaque fois, la sidération. Et à chaque fois, une seule question : comment cela a-t-il été possible ?
Une nuit pour mettre en lumière
Lola Lafon expose son projet qui consiste à passer la nuit dans cet endroit où Otto Franck et sa famille se sont cloitrés pour échapper aux nazis :
« Je suis venue en éprouver l’espace car on ne peut éprouver le temps. »
Avant son départ, elle discute avec Laureen Nussbaum qui a connu la famille Franck et étudié le Journal en tant qu’œuvre littéraire. On y apprend au passage qu’Anne Franck avait retravaillé ses notes, comme une écrivaine. Elle voulait que son journal soit lu. On est bien loin du journal intime et de la figure de la jeune fille fragile qui nous est couramment présentée.
« L’irrévérence des jeunes filles devrait être l’objet de toutes nos attentions, elle devrait être archivée et transmise. »
Lola Lafon fait émerger du Journal quelques passages demeurés dans l’ombre. Nous y apprenons les omissions et même l’édulcoration qui a été faite. Il y a eu, par exemple, ce producteur américain qui trouvait l’histoire d’Anne Franck « trop juive » et « beaucoup trop triste ». Dans l’adaptation américaine, on ne fête pas Hanukkah, on ne voit pas d’Allemands en uniforme : une véritable expurgation. Ce film de 1959 reçut quatre Oscars.
« Si nous sommes tous Anne Franck, il n’y a plus d’Anne Franck », écrit Lola Lafon.
Puis, par ricochets, le récit de Lola Lafon met aussi en lumière une autre histoire.
L’histoire mêlée
« Mes grands-parents ont survécu en faisant comme si la France avait vraiment été une terre d’accueil. Ils ont fait de l’oubli un savoir. »
Lola Lafon semble avoir parfaitement intégré ce principe de survie. Elle a passé une bonne partie de sa vie à vouloir fuir l’histoire de sa famille juive, déportée, morte ou revenue. Mais il faut croire que ce que l’on enfouit loin en soi prend fermement racine. Cette petite-fille d’exilés juifs se livre comme jamais auparavant dans ce récit qui fait rejaillir son histoire personnelle.
« Naître après, c’est vivre en dette perpétuelle. Chaque enfant sera un miracle. Il aura le devoir d’être sur-vivant. »
Parcourant seule les pièces et couloirs du musée, l’autrice se questionne sur cet héritage impossible à abandonner.
« Comment marcher sur des traces sans les effacer ? »
Il y a aussi sa propre histoire, pas celle dont elle hérite, celle qu’elle a vécue. L’intimité vient frapper à sa porte. Lola Lafon ne parvient pas à pénétrer dans la petite pièce du musée qui voit pourtant défiler des milliers de visiteurs chaque année. Et puis, un visiteur s’invitera dans sa nuit.
L’écriture ne serait-elle pas la clé pour marcher sur sans abîmer ?
Quand tu écouteras cette chanson : le récit d’un laissez-passer
« C’est un geste apatride que celui d’écrire, une échappée sans ancrage, en terres inconnues. Mes romans me baladent, ils me mènent en bateau. Je crois avancer. »
L’écriture échappe, égare toujours un peu son auteur qui a minima fera un pas de côté, par rapport à son projet initial. Dans ce récit, Lola Lafon accepte l’égarement.
« Il faudra avancer dans l’obscurité, à tâtons, trébucher sur des mots qui regimbent, des paragraphes rétifs […] »
(Et je me demande quel dialogue aurait-elle pu entretenir avec André Du Bouchet, à tâtons lui aussi.)
Quand tu écouteras cette chanson est également le récit d’un processus d’écriture : passer une nuit, seule, dans un lieu clos pour écrire. C’est la contrainte de départ donnée à chaque auteur hébergé dans cette collection « Ma nuit au musée ». Lola Lafon aurait-elle accepté la proposition des éditions Stock pour se confronter à ses fantômes et aux zones d’ombre de sa propre histoire ?
« Le présent que je n’écris pas flotte, un brouillon sans contour. C’est en écrivant ce que je vis que je comprends ce que je vis. »
Écrire, c’est arpenter la nuit.
Ce livre s’ouvre sur l’apparition furtive d’Anne Franck dans une vidéo amateur. L’image est gravée. On ne détournera pas les yeux. On lira jusqu’au bout. On n’oubliera pas. On pleurera et puis on chantera à nouveau.
Il ne s’agit pas de la chanson du livre (ce choix est personnel). « Djelem djelem » (en romani) est l’hymne rom. Djelem signifie « J’ai voyagé ».
« Si nous agissons, nous irons loin. »
Pour connaitre la chanson du livre, lisez-le. 😘